Les exploits ont beau être banalisés, un trophée Jules-Verne reste une fantastique aventure avec un grand « A » à vitesse grand « V ». A 31 ans, Gwénolé Gahinet a eu l’honneur d’écrire une petite ligne de l’histoire de ce record du tour du monde en équipage et sans escale que les plus grands marins tentent de battre depuis 1993.
Ministe émérite, Figariste aguerri, vainqueur de la Transat AG2R-La Mondiale 2014, ce jeune navigateur aux faux airs de Beethoven, porte sur lui cette légèreté qu’ont ces voileux atteints de la douce folie du large. C’est peut-être ça qui a décidé Francis Joyon de l’embarquer sur IDEC Sport pour tenter un pari, un peu fou lui aussi : battre le temps référence détenu par Banque Populaire VII de Loïck Peyron sur un bateau d’une génération plus ancienne.
Au final, IDEC Sport et ses six hommes échoueront de deux jours sur le temps de leur lièvre virtuel et sur Spindrift 2, qui, lui, était bien réel. Cela n’empêche pas Gwénolé Gahinet de garder le sourire tout le long de cet entretien dans lequel il raconte son premier tour du monde, et certainement pas le dernier.
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« Francis [Joyon] avait validé la fenêtre horaire une semaine avant le départ : samedi 22 novembre. Ceux qui étaient en stand-by dans leur pays, Alex [Pella] en Espagne et Boris [Herrmann] en Allemagne, ont rejoint le reste de l’équipage, Clément Surtel, Bernard Stamm, Francis et moi jeudi soir à Brest. Vendredi, un jour avant le départ, nous avons fait notre premier briefing avec Marcel Von Triest, notre routeur.
C’était la première fois que nous étions avec Marcel tous réunis. Nous avons discuté de cette fenêtre météo qui n’était pas simple. Avec un départ le samedi en journée, on était sûrs de rencontrer beaucoup de vent et de mer à Ouessant et dans le Golfe de Gascogne.
Samedi était une drôle de journée. A midi, on a déjeuné avec les sponsors. On était prêts à partir à 15 heures. Puis le départ a été une nouvelle fois retardé. L’après-midi a été longue… Finalement, le départ ponton a été programmé à 22 heures. On se retrouve à dîner avec tout le monde. Pour les sponsors, c’est un moment convivial et émouvant.
Pour nous, l’équipage… c’est difficile à décrire. On se retrouve autour d’une bonne table à manger des coquilles Saint-Jacques alors qu’on a notre tentative qui part quelques heures après. Moi, j’ai bien mangé. D’autres n’ont rien touché. Trop stressés. Chacun gère le stress à sa manière. Francis est relativement à l’aise même si ce genre de journée n’est pas sa tasse de thé…
Le dernier repas avant le départ
Après la fin du repas, je voulais faire une sieste mais il fallait y aller. On s’est dirigé tranquillement vers le bateau et on a largué les amarres. C’est un drôle de truc que de partir faire un tour du monde avec un équipage que je ne connaissais à peine.
Le départ est donné en pleine nuit à 2 h 22 du matin. Il n’y a pas trop de vent à ce moment-là et on part avec la Grand Voile haute et le J1. J’ai même demandé si on ne devait pas faire un demi-tour pour couper la ligne plus tard avec plus de vent. Francis a décidé qu’on était partis et qu’il fallait maintenant aller chercher le vent. Il avait raison.
Le schéma était déjà fait et on savait qu’on allait être au portant en arrivant dans le Golfe de Gascogne. Rapidement, on a commencé à atteindre les 30 nœuds avec une mer impressionnante. Les premières heures ont été sport. Dès le deuxième jour, Francis se casse une côte en tombant sur un winch. Alex se prend un retour de la barre. Il a été projeté assez violemment. Il lui faut quelques minutes pour s’en remettre. Clément se brûle la main en laissant filer l’écoute de Grand Voile. Ça faisait déjà trois gars sur six d’attaqués. C’était très engagé ! C’est d’ailleurs le seul moment où on s’est posé des questions.
Cinq fois plus rapide qu’en Mini
On passe le Cap Finisterre et au large du Portugal, on dépasse le tracé virtuel deBanque Populaire. On fait plus de 30 nœuds de moyenne. On a eu de la chance parce que le pot-au-noir était facile mais le défaut de la fenêtre était l’Atlantique Sud. A partir du 15°S, c’est une dorsale anticyclonique qui nous barre la route au large du Brésil. J’étais déjà allé à Salvador de Bahia en Mini 6.50 mais après ça c’était la grande découverte. En 6 jours, on a fait ce que j’ai fait en un mois en Mini. C’est la Mini Transat mais en fois cinq plus rapide !
Depuis le début, on sait que ce record va être dur à aller chercher. Avant le temps de Banque Populaire, tous les records avaient été battus par des bateaux plus performants que les précédents. Ce n’était pas le cas pour nous. IDEC Sport est l’ex-Groupama 3 donc plus vieux que Banque Populaire.
Par contre, on a une configuration qui est nouvelle. On navigue avec un plus petit gréement, conçu pour Franck Cammas pour sa Route du Rhum. Et on n’est que six à bord au lieux de 10 lors de la tentative de Groupama. Ça veut dire qu’on est environ deux tonnes plus légers. Notre pari pour gagner ce trophée est de ne pas trop souffrir dans le vent faible et de s’économiser en manœuvres, en hommes et en accastillages.
Par conséquent, au travers et au portant, on va vite parce qu’on a moins de trainée et le bateau est plus léger et plus sûr. C’est vraiment son point fort. On sait aussi que la météo va être le juge de paix. On croit au record donc même quandBanque Populaire nous passe devant au large du Brésil, on sait que la route est encore longue. Avant le cap de Bonne Espérance, on n’est pas trop bien car on bute sur une autre dorsale. A ce moment-là, on garde tout pour l’Indien. On est sur les starting-block. On touche de l’air juste après la pointe africaine.
Ce n’est pas très fort au début mais on est vite rattrapé par la dépression juste avant les Kerguelen et nous sommes lancés à fond. Cette première plongée dans le sud est très impressionnante. On passe du chaud au froid en l’espace de deux jours. Il n’y a pas cette longue houle comme on l’imaginait mais un vent très fort. En deux journées, on dépasse l’Australie. C’était assez fou.
> Lire : Nouveau record à l’entrée du Pacifique
Le Pacifique était très compliqué puisqu’il n’y avait pas de dépression qui circulait vraiment bien. C’était plutôt un anticyclone à notre niveau. Ça nous a forcé à monter très nord même s’il y avait une option extrêmement Sud. Il aurait fallu descendre à 60° Sud. C’était chaud. Déjà aux Kerguelen, on était au 55° Sud et c’était un record pour un trimaran de descendre si bas. C’est tendu parce qu’avant de partir, on sait que les icebergs sont compliqués à esquiver. Marcel nous a montré une carte avec les températures de l’eau.
A certains endroits, on voit des eaux très froides qui remontent très Nord et il y a également beaucoup de tourbillons créés par la rencontre entre les courants chaud et froid. Près des Kerguelen, notre objectif était de rester dans les eaux froides pour être sûrs que les icebergs ne fondent et forment des growlers.
Spindrift en vue
C’est à ce moment-là qu’on voit Spindrift. Au large de la Nouvelle-Zélande, au tiers du Pacifique. Au milieu de rien quoi. J’étais à la barre quand on le voit pour la première fois. Je vois une masse noire qui apparaît dans le brouillard. Au début, je ne savais pas si c’était un grain ou une tornade. Quand j’ai réalisé et j’ai crié aux gars: « Regardez, c’est Spindrift ! » On savait qu’il était dans les parages mais quand on l’a vu, ça nous a bien reboostés… On avait juste envie de les dépasser.
Il y avait 20-25 nœuds de vent, on était GV et gennak alors qu’eux avaient un ris dans la GV et allaient un peu moins vite. Leur bateau semblait passer moins bien la mer. On les rattrapaient petit-à-petit. C’était très sympa ! C’est là qu’on voit qu’on est tous des compétiteurs quand même… Et non, il n’y a pas eu d’accord entre Spindrift et nous.
Spindrift a proposé une zone interdite dans le Sud. On les savait un peu frileux. A moins qu’ils nous croyaient un peu fous… En tout cas, ils avaient tout à gagner et nous tout à perdre de ne pas aller plus Sud. Mais on s’est vite aperçu qu’on ne le tenterait pas parce que c’était trop extrême. Donc il n’y jamais eu d’accord contrairement à ce qui a été dit.
Banque Populaire avait fait un très mauvais Pacifique. Il avait eu un passage de dorsale qui était compliqué. Donc il s’est retrouvé à faire des zig-zags et c’est là qu’on arrive à le rattraper, avant le Horn. Le Cap Horn, c’était sympa mais ce n’était vraiment pas facile. On a fait un contre-bord vers le Nord juste au-dessus du Cap Horn et juste après on se retrouve dans la molle. Oui, c’était magnifique, on voyait les Andes enneigés mais on fait plein d’empannages… Bref, c’était un peu laborieux.
Cloués à Rio
Marcel sait déjà que l’Atlantique Sud va être compliqué. Après le Horn, ça repart assez vite. On se retrouve au portant fort avec une mer un peu dessinée. C’est là qu’on doit prendre la décision. On sait que l’option sud va être compliquée. On a alors deux choix. Soit partir très à l’Est, ce qui nous permet d’être au portant mais ça rallonge la route. Selon les calculs du routage, c’est un peu moins bon mais on pourrait avoir une ouverture après le passage de l’anticyclone et nous ouvrir un meilleur angle pour aborder l’Atlantique Nord.
Puis, il y a l’option ouest, proche du Brésil, qui est la route la plus courte. On sait que ça va être difficile de rester dans les clous du record alors on prend cette dernière option en espérant que le passage va s’ouvrir. On y croit encore. Au niveau de Rio, l’ouverture qu’on attendait ne vient pas à cause de l’anticyclone. On se retrouve à tirer des bords de près à 5-10 nœuds pendant des jours et des jours… En plus, Francis devient nerveux quand le bateau ne va pas vite…
Ensuite on retrouve des conditions sympas. Le fait aussi d’être sur la route directe, c’est quand même bien. On a perdu un peu de temps parce qu’un ridoir du mât est tombé. On a mis deux heures à réparer ça. On a eu d’autres soucis sur la tentative mais à chaque fois, on était sereins dans les réparations, ce qui nous a permis d’être toujours plein gaz.
C’était étrange parce que même si on savait que ce n’était plus possible d’aller chercher ce record, on est toujours allés à fond. Juste après le passage de l’anticyclone, on était partis pour le record Equateur-Ouessant. On a perdu ces deux heures à cause du mât mais c’était possible.
L’histoire du gaz
Pendant ce temps-là, il y a eu une petite psychose à cause du gaz. La dernière bouteille, on l’avait ouverte au Cap Horn. Ce qui voulait dire que il nous restait quasiment 18 jours à naviguer. Or, notre durée record d’une bouteille était de 12 jours. On avait prévu pour 45 jours et puis on a peu trop consommés au début. Il y a eu peu trop de thés et de cafés, et on avait pas réellement conscience qu’il fallait économiser. Il y a même eu quelques petits abus comme des bouillottes… Mais c’est le pied une bouillotte dans le grand Sud !
Au final, on a économisé en essayant de garder le maximum d’eau chaude pour les repas lyophilisés. Il y a eu des petits tests à l’eau froide mais c’était vraiment dégueulasse… Pour la petite histoire, sur le convoyage Brest-La Trinité on était toujours sur la même bouteille de gaz. On se fait plein de thés et de cafés, des plats, des desserts et on ne l’a pas terminé !
Dans l’Atlantique Nord, Banque Pop avait fait un choix très extrême en prenant une option au portant en faisant le grand tour par le Nord, au lieu de passer par le Sud mais au près. En prenant cette option, ils étaient quasiment sûr de gagner trois jours sur le précédent record de Groupama, et c’était beaucoup plus sûr. On peut facilement casser du matériel au près sur ces bateaux-là. Ça explique leur choix. Nous, notre configuration est plus facile mais entre les Açores et le Golfe de Gascogne, les conditions sont dures. Il nous tarde d’arriver. On sait qu’on va arriver le vendredi.
Proche du retour
Après les Açores, il y a une dorsale un peu compliquée à passer et c’est là qu’on perd un peu de temps. Par contre, sur toute la fin, il y a un flux d’ouest bien puissant avec une mer importante aussi. C’est là qu’on a fait les plus beaux plantés du tour. Tu ne peux pas rouler le gennak à chaque fois donc quand il y avait beaucoup de vent avec des grains à 45-50 nœuds, ça plantait facilement. Il fallait rester super concentré pour rester abattu. Or, ça n’a pas empêché une grosse rafale de faire planter le bateau. A l’intérieur, Bernard était en train de bricoler. Il a été projeté sur la marche de la cuisine. Il a cru qu’il s’était cassé un os du bassin ou quelque chose. C’était un peu chaud. Il n’est pas du genre à se plaindre mais, là, il a demandé à se reposer un peu.
On passe la ligne d’arrivée dans de supers conditions avant le coucher du soleil. Il n’y avait pas beaucoup de vent à l’entrée de la rade de Brest. Une vedette avec nos familles et tous les gens d’IDEC est venir nous accueillir. C’était une super ambiance. On réalise aussi qu’on a fait le tour du monde. C’est un sacré truc…
Ça fait un mois que je suis rentré. C’est l’heure du bilan pour IDEC. Tous les retours techniques sont importants. On réfléchit à toutes les optimisations qu’on pourra faire sur le bateau. Maintenant je me replonge dans le boulot. J’ai un projet qui s’appelle Flying Frog. On avait fait la Mini Coupe de l’America à Falmouth, en Angleterre, l’an dernier et là on vient d’acheter un Flying Phantom. Mais il y a surtout le projet de repartir l’année prochaine avec IDEC qui se précise. Et ça, c’est top ! »
Propos recueillis par E.Versace